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 DOULEURS ABDOMINALES RÉCIDIVANTES

Près de 15% des enfants présentent des douleurs abdominales à répétition (DAR) et celles-ci représentent environ 30% des motifs de consultation en pédiatrie. Les douleurs abdominales à répétition de l'enfant sont particulièrement fréquentes chez les enfants d'âge scolaire et les adolescents. Elles sont habituellement définies comme étant d'origine organique, fonctionnelle ou psychologique. Selon cette définition, probablement désuète, ce n'est que dans une minorité de cas (10 à 15%) que serait retrouvée une base organique à l'origine de la douleur. En réalité, selon une approche plus récente, il est possible désormais de mettre en évidence un certain nombre d'anomalies clairement caractérisées et dont la prise en charge permet dans une grande partie des cas de faire disparaître les douleurs abdominales.

L’interrogatoire et l’examen clinique sont essentiels. Ils permettent de dégager dans la majorité des cas les éléments d’orientation


Les enfants présentant des douleurs abdominales chroniques doivent faire l'objet d'un examen soigneux, incluant une analyse de l'histoire de la maladie, un examen clinique et dans certains cas des tests de laboratoire qui vont permettre un dépistage de certaines infections organiques. Une évaluation soigneuse de l'environnement social et psychologique de l'enfant doit être conduite, ainsi qu'une recherche de facteurs de stress scolaires ou familiaux. Parmi les antécédents familiaux, il faut accorder une certaine attention aux antécédents d'ulcère gastrique ou duodénal dans l'environnement familial de l'enfant, les formes familiales d'infection par Helicobacter pylori (H. pylori) n'étant pas rares.

Il n'y a pas de traits caractéristiques qui permettent de distinguer de façon fiable des douleurs abdominales chroniques fonctionnelles de celles qui présentent une origine organique. Toutes peuvent être de siège péri-ombilical ou atteindre la totalité de l'abdomen, peuvent être sourdes ou au contraire plus aiguës, intermittentes ou constantes. Seule la localisation épigastrique constitue un argument d'orientation relativement fiable en faveur d'une gastrite ou d'une oesophagite. Les douleurs abdominales chroniques fonctionnelles sont plus fréquemment péri-ombilicales mais peuvent être présentes dans d'autres localisations. Une étiologie organique peut être suggérée par le fait que la douleur réveille l'enfant endormi ou qu'elle irradie vers le dos ou le flanc comme dans la pancréatite ou dans les infections urinaires sur calcul.

L'intensité de la douleur abdominale, qui est souvent le souci majeur du patient et de sa famille ne trouve pas de bonne corrélation avec la cause de la douleur et ne permet pas de préjuger de sa nature organique. Enfin, une évaluation du contexte psychologique est toujours nécessaire. Une attention toute particulière doit être portée à l'analyse des relations familiales et scolaires. L'existence d'un conflit familial, d'une séparation des parents, de modifications récentes du cadre de vie constituent un terrain favorisant ces manifestations douloureuses.

Les examens complémentaires de base :


Il ne faut pas considérer comme indispensable la réalisation systématique d'examens biologiques lorsqu'un enfant présente des douleurs abdominales chroniques. Lorsqu'il existe un doute raisonnable sur une potentielle affection organique, comme peut le suggérer un certain degré de pâleur, une asthénie, une anorexie etc., quelques examens complémentaires de base peuvent être demandés dont un bilan sanguin. La radio d'abdomen sans préparation met facilement en évidence un encombrement stercoral témoignant d'une constipation chronique dont la plupart du temps ni l'enfant ni les parents ne sont conscients.

La recherche d'une intolérance au lactose ou d’une pullulation microbienne du grêle par mesure de la concentration d'H2 dans l'air expiré est un examen simple et non invasif, dont la fréquente positivité est une découverte de ces dernières années. L'échographie abdominale n'a que rarement sa place en première intention sauf si un doute existe sur une anomalie pancréatique ou urinaire. Dans tous les cas, l'examen doit être orienté car l'échographie ne doit en aucun cas être un examen systématique devant les douleurs abdominales récidivantes chez l'enfant.

Il existe un consensus pour ne pas recommander la réalisation d’une endoscopie digestive haute systématiquement chez tous les enfants présentant des DAR. Quelques situations où une endoscopie digestive peut être indiquée : douleurs abdominales localisées constamment dans la région épigastrique, s’accompagnant d’une sensibilité à la palpation, de douleurs nocturnes ou rythmées par l’alimentation, d’antécédents familiaux d’ulcère, accompagnées par des nausées et/ou vomissements et/ou une perte pondérale, enfin lorsqu’il y une hémorragie digestive. Enfin, en cas de suspicion d’œsophagite peptique ou d'une pathologie gastro-duodénale ulcéreuse associée à une infection à Hélicobacter pylori il faut envisager une endoscopie digestive haute avec des biopsies gastriques pour une analyse histologique à la recherche de cette infection.

Les douleurs abdominales chroniques d’origine organique :


Les maladies inflammatoires de l'intestin, notamment la maladie de Crohn, peuvent se présenter sous la forme de douleurs abdominales chroniques comme seul symptôme pendant une durée relativement longue. Ce diagnostic doit toujours être envisagé. Les signes associés qui pourront permettre de faire suspecter le diagnostic sont une perte de poids, un aphte buccal, une fièvre, une anémie et un retard de croissance, des épisodes diarrhéiques à répétition, des selles glairo-sanglantes, des épisodes douloureux articulaires, la survenue d'un érythème noueux. La recherche d'une maladie inflammatoire chronique de l'intestin se fait par recherche de sang dans les selles, recherche d'une hypoprotéinémie et de signes biologiques d'inflammation (NFS, CRP). Plus récemment, il semble que le dosage sérique des anti-corps anti-nucleaires cytoplasmiques (pANCA) et des anti-corps anti-saccharomyces (ASCA) permet de guider le diagnostic. La moindre suspicion justifie la mise en œuvre d'une exploration endoscopique, coloscopie et fibroscopie haute, compte tenu de la fréquence des lésions du tractus digestif supérieur chez l'enfant.

La maladie ulcéreuse est chez l'enfant relativement rare. Par contre les atteintes plus diffuses de la muqueuse gastrique sont beaucoup plus fréquentes. Ces gastrites sont le plus souvent liées à une infection à H. pylori dont l'aspect endoscopique est très fréquemment caractéristique, sous la forme d'une gastrite nodulaire, et dont l'association avec des douleurs abdominales chroniques se révèle désormais très fréquent. Cliniquement, la localisation épigastrique des douleurs est un argument d'orientation de valeur et doit faire discuter, en cas de douleurs persistantes, la pratique d'une fibroscopie oeso-gastro-duodénale. C'est en effet le plus souvent à l'occasion de telles douleurs que le diagnostic d'infection à H. pylori est posé. Ces douleurs d'intensité variable sont observées chez 38 à 78% des patients infectés selon les séries.

L’œsophagite, associé ou non à une hernie hiatale, est très fréquente chez le nourrisson mais beaucoup plus rare chez le grand enfant. Les éléments d’orientation clinique sont souvent disparates (la notion de pyrosis par exemple est souvent difficile à faire préciser) mais ce sont surtout les antécédents de RGO dans la petite enfance qui permettront de guider le diagnostic et conduiront à réaliser une endoscopie. L'intolérance au lactose longtemps négligée est décrite dans un pourcentage qui varie selon les études entre 40 et 70% des enfants présentant des douleurs abdominales à répétition. Environ la moitié des enfants présentant ce type d'intolérance présentent une disparition des douleurs abdominales lors de la suppression du lactose ou lors du remplacement du lait par du yaourt, qui, grâce à l'action des ferments lactiques est dénué de lactose. L'intolérance au lactose est liée à la disparition progressive, dès l’âge de 2 ans, de la lactase au sommet des villosités intestinales.



Elle est génétiquement déterminée et survient avec une particulière fréquence dans les populations originaires du bassin méditerranéen. Elle autorise généralement la consommation d'une petite quantité de lactose et n'entraîne que peu de troubles à l’âge adulte. Par contre, lorsqu'elle survient dans la petite enfance, lorsque la charge en lactose dans l'alimentation est encore importante, elle peut être une cause importante de douleurs abdominales. Le diagnostic d'une intolérance au lactose, s'effectue en réalisant un examen simple et non invasif, le test respiratoire au lactose ou test à l'hydrogène expiré. En cas d’intolérance en lactose, on observe, 2 à 3 heures après l’absorption d’une dose de charge de lactose, un taux élevé d’hydrogène dans l’air expiré. Le lactose agit ainsi comme puissant stimulant du développement d’une flore fermentaire, responsable des DAR et de diarrhées à résidu acide.

Le test respiratoire au lactose est donc un examen simple et particulièrement intéressant chez tout enfant ayant des DAR. La découverte d'une intolérance au lactose doit conduire à la mise en route d’un régime pauvre en lactose en remplacant le lait par du yaourt ou des préparations de substitution (lait délactosé ou préparation à base de soja). Lorsque l'on observe, au test au lactose (ou au glucose), un pic précoce d'hydrogène, il traduit l'existence d'une flore fermentative dans l'intestin grêle. Il s'agit d'une éventualité fréquente en pédiatrie, qui témoigne indirectement d'un trouble de la motricité intestinale et plus rarement d'une malformation du grêle. Des traitement antibiotiques à visée intestinale (Flagyl®) avec du Lactéol fort® ou Ultralevure® permettent dans ces cas une amélioration rapide des DAR.

L'allergie alimentaire, longtemps considérée comme l'apanage des premiers mois de vie, s'avère en réalité représenter une cause fréquente du colon irritable, que ce soit dans ses manifestations à type de douleurs abdominales ou dans la diarrhée chronique non spécifique. Cette allergie alimentaire peut être suspectée sur un terrain atopique familial et personnel important. Il convient de rechercher à l'interrogatoire un aliment déclenchant, prélude à la mise en oeuvre d'explorations plus spécifiques, tests cutanés, dosage des IgE totales et spécifiques contre certains aliments. La découverte d'une allergie alimentaire peut faire mettre en route un régime d'exclusion dans lequel la mise en place d'aliments de substitution adaptés sera essentielle.

La constipation constitue également une cause très fréquente de douleurs abdominales récidivantes. Dans ses formes les plus sévères, elle peut entraîner un amaigrissement, une altération de l'état général et avoir un grave retentissement psychologique surtout lorsque s'y associe une incontinence fécale. Dans la plupart des cas, cependant, la constipation est discrète et n'est pas immédiatement évoquée par l'enfant et ses parents. Son rôle dans la genèse des douleurs abdominales est cependant souvent essentiel. Le diagnostic s'appuie sur l'interrogatoire qui peut cependant être trompeur puisqu'il n'est pas rare d'observer une surcharge stercorale chez des enfants ayant une selle quotidienne. L'examen clinique doit impérativement comprendre un examen proctologique.

Il peut être utilement complété par une radio de l'abdomen sans préparation permettant d'apprécier le degré de la surcharge stercorale. Ce n'est qu'en cas d'échec des mesures thérapeutiques habituelles que devront être envisagées des explorations plus spécialisées (temps de transit des marqueurs et manométrie rectale). Dans de tels cas, un traitement par régime riche en fibres se révèle souvent très efficace. L'utilisation de laxatifs à propriété osmotique comme le lactulose ou émolliente comme l'huile de paraffine qui peut être facilement employée sous forme de gelée chez l'enfant trouve parfaitement sa place à ce stade de la prise en charge. Dans les cas de constipation plus sévères, l’utilisation des laxatifs à base de la dernière générations de PEG (Colopeg®, Transipeg®, Forlax®,..) pourraient trouver sa place. Il faut également recommander l'utilisation de lavement ou de préparation laxative par voie rectale en cas d'absence de selle pendant plus de 48 heures.

L’appendicite se manifeste par un point douloureux électif situé le plus souvent dans la fosse iliaque droite avec une petite fébricule ou sans fièvre. L’examen clinique en faveur de signe de défense chirurgicale de Mac Burney, le coprolithe appendiculaire mis en évidence sur l’ASP et enfin les signes échographiques confirmeront le diagnostic. L’appendicectomie est alors le traitement qui fera cesser les DAR.

La colite hépatique est rarement typique chez l’enfant et plusieurs épisodes sont nécessaires avant que le diagnostic ne soit posé. Des circonstances favorisantes, comme une maladie hémolytique, un dysfonctionnement iléal ou une mucoviscidose, doivent être recherchées. L’échographie et le scanner abdominal font le diagnostic. Le kyste du cholédoque se manifeste par des épisodes ictériques récidivants s’accompagnant de DAR. Il constitue la 1ère cause de cholestase extra-hépatique chez le grand enfant. L’échographie et le scanner abdominal en font aisément le diagnostic.

Les parasitoses intestinales sont également des causes fréquentes de DAR. Les giardiases sont fréquemment en causes mais il peut également s'agir d'ascaridiose, de taeniasis ou plus fréquemment d’oxyurose. Les infections urinaires sont susceptibles de déclencher des douleurs typiquement de localisation sus-pubienne, les douleurs plus latérales au niveau du flanc suggérant plus volontiers une pyélonéphrite. La gravité de laisser évoluer une infection urinaire ou une malformation urologique justifie au moindre doute en examen cytobactériologique des urines et une échographie abdominale.

Certaines pancréatites peuvent être la conséquence de traumatismes, d'infection ou de malformation congénitale des canaux pancréatiques ou encore d'une réaction à l'ingestion de certaines drogues. La douleur abdominale liée à la pancréatite est localisée dans la région sous-costale gauche, avec irradiation possible vers le dos ou l'épaule gauche. Le diagnostic repose sur la mise en évidence d'un taux élevé d'amylasémie dans le sang, éventuellement complétée par une échographie ou un scanner abdominal.
D'autres causes, plus rares, de DAR d'origine organique sont reprise dans le tableau 1 ci-dessous.

Les douleurs abdominales chroniques d’origine fonctionnelles :


Ces douleurs fonctionnelles, également appelées "colon irritable" seraient une cause fréquente de DAR. Il n'est pas rare, après une recherche étiologique très complète d'aboutir au diagnostic de colon irritable peut-être trop souvent porté par excès. Deux voies pathogéniques coexistent dans la compréhension du colon irritable, l'une tend à considérer le colon irritable comme une maladie digestive et l'autre conduit à considérer que le colon irritable est un trouble de la personnalité. Dans le premier cas, c'est l'inventaire des troubles intestinaux qui semble devoir fournir la solution. Dans le deuxième cas, ce sont les conflits psychologiques que subit l'enfant qui pourraient occuper le devant de la scène, leur somatisation sous forme de douleur abdominale est alors l'expression d'une maladie psychosomatique dont il convient d'organiser la prise en charge.

Il est probable que ce soit à la croisée de ces deux conceptions que se situe le colon irritable de l'enfant : à stimulation émotionnelle égale, l'enfant atteint de colon irritable pourrait en raison d'un seuil de sensibilité à la douleur abaissé, subir un désordre moteur et les symptômes qui en découlent là ou un enfant normal ne subira aucun préjudice physique. Le terme de douleurs abdominales chroniques est mal interprété par de nombreux médecins qui peuvent être amenés à remettre en cause la réalité même de la douleur. Celle-ci est cependant présente réellement même si sa cause ne semble pas relever d'une étiologie organique.

Conclusion :


La prise en charge d'un enfant présentant des douleurs abdominales récidivantes doit respecter certains principes. En premier lieu, l'examen clinique soigneux doit dépister toute affection organique et au moindre doute faire mettre en œuvre les explorations biologiques ou d'imagerie adaptées. Il n'est donc pas raisonnable d'invoquer d'emblée une origine psychosomatique sans avoir au préalable éliminé une constipation, une intolérance au lactose, une pullulation microbienne ou une allergie alimentaire.

Tableau I : DOULEURS ABDOMINALES RÉCIDIVANTES



PRINCIPALES ETIOLOGIES



ATTEINTE DIGESTIVE


ATTEINTE EXTRA-DIGESTIVE


Afffections du tractus digestif haut Atteinte renale
  • Oespahgite
  • Gastrite
  • Ulcère gastrique ou duodénale
  • Malformation
  • Infection
  • Syndrome nephrotique
Obstacle anatomique Affections gynécologiques
  • Défauts d'accolement
  • Mésentère commun
  • Duplication digestive Volvulus
  • Brides
  • Diverticule de Meckel
  • Hernies
  • Invagination intestinale aigue
  • Kyste ovarien
  • Hématocolpos
  • Salpingite
  • Corps étranger intra-vaginale
Atteintes inflammatoires Atteintes neurologiques
  • Maladie de Crohn
  • Rectocolite
  • Purpura rhumatoïde
  • Tuberculose
  • Colites inflammatoires non spécifiques
    • Epilepsie
    • Myelite
    • Tumeur cérébrale
    • Migraine
Malabsorption ,maldigestion Atteinte métabolique
  • Intolérance au lactose
  • Maladie cœliaque
  • Allergie alimentaire
  • Pullulation microbienne du grêle
  • Diabète
  • Insuffisance surrénale
  • Hypoglycémie
  • Porphyries
  • Déficit en C1 estérase
  • Hyperlipémie avec calcification pancréatique
Appendecite Maladie périodique
DAR fonctionnelles Drépanocytose
Constipation Intoxication au plomb
Infection ou Parasitose Botulisme
Affections hépatobiliaires Chlorpromazine
  • Mucoviscidose
  • Pancréatite